Chapitre 2 : souvenirs culinaires

Je me souviens de ces moments précieux qui ont marqué mon enfance en cuisine… Il flottait dans l’air une odeur de poulet rôti ou de frites qui me donnait toujours envie de me lécher les babines. La préparation du repas était bien avancée, mais il restait toujours quelques petites choses à faire… Alors je venais proposer mon aide, et Mamie me faisait l’honneur de me donner une vinaigrette à préparer. Grande mission à mes yeux d’enfant ! Je la cuisinais comme si elle avait constitué un plat à elle seule, avec une grande application, en goûtant plusieurs fois. Aux première vinaigrettes ont succédé les gâteaux, plus ou moins réussi.

Le premier que j’ai cuisiné « comme une grande » était un simple cake au yaourt, et je m’en souviens comme si c’était hier. Même notre bon vieux labrador n’en a pas voulu ! J’avais oublié la levure et le résultat tenait plus de l’ouvrage de maçonnerie que du moelleux tant rêvé. Si j’en ris aujourd’hui beaucoup, il avait fallu un moment pour que j’avale ma « défaite ». Des ratages, depuis celui-là il y en eu bien d’autres : les purées dans lesquelles j’avais renversé la salière (littéralement !), aux plats de riz bicolore dont le fond ressortait tout noir de la marmite…

Puis, il y eu la période « pain ». Toutes les expérimentations loufoques qui ont suivi ont marqué à jamais ma carrière de cuisinière d’un élan aventureux, d’un zeste d’audace qui n’est jamais reparti.

 Je m’étais mis en tête de faire du pain, et du pain de seigle, du pain complet s’il vous plaît… Aucun échec ne me détourna de cet objectif, et si je garde comme une de mes plus grandes joies la réussite d’un pain bien cuit, de cette mie qui chante, ou de l’odeur merveilleuse qui embaume la maison pendant la cuisson, je dois admettre que mes pauvres « râtés » méritent bien eux aussi leur moment de gloire…

Au palmarès des mal-aimés de la boulange, il y eu donc les pains cramés dehors, et tous crus en dedans. Ceux qui s’étalaient sur la plaque, comme une flaque, et qu’on devait croquer du bout de la dent pour ne pas avoir d’accident. Ceux qui manquaient de sel, et ceux qui en avaient tant qu’on voyageait en bord de mer rien qu’en les goûtant. A tous ceux-là, je dis merci quand même, car s’ils n’étaient pas bon, on en a au moins ri !

Oh bien sûr, je n’ai pas eu que des accidents culinaires… Mais avec le recul, je crois que la cuisine a beaucoup à nous apprendre de la vie. C ’est une école de souplesse qui apprend le rebond. Une école de patience, d’amour et de persévérance. Et les jours où je n’ai plus envie, où l’inspiration manque parce que les jours reviennent si vite, j’ouvre bien tendrement l’album de mes souvenirs culinaires.

Et je me souviens de la petite fille qui aidait ses grands-mères. De la jeune femme qui voulut faire du pain. Je découvre en filigrane celle que je suis aujourd’hui, entre découvertes succulentes et orages gustatifs…

J’ouvre doucement la porte du four, et j’en sors le gratin. Sans oublier près de la salade, le bol de vinaigrette. Il est des souvenirs qui restent, et c’est très bien.